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Sunday, July 12, 2020

Optimisation du traitement du contentieux de l'urbanisme au profit des constructeurs - Moniteur

sayauntungdah.blogspot.com

Ces dernières années, les textes successifs n'ont de cesse de mettre fin à l'âge d'or des requérants au profit des promoteurs, la dernière loi Elan en est une illustration. Cristallisation des moyens, dessaisissements d'office, font de la contestation d'une autorisation d'urbanisme un parcours du combattant que le professionnel du droit doit maitriser pour défendre les intérêts de son client.

L'ordonnance du 18 juillet 2013 portant réforme du contentieux de l'urbanisme (n° 2013-638) a marqué un tournant dans le contentieux des autorisations d'urbanisme, en mettant fin à « l'âge d'or » des requérants et en portant l'avènement de celui des constructeurs. Pour rappel, cette ordonnance comportait, notamment, un renforcement du contrôle de l'intérêt à agir des requérants, la consécration du juge de la régulation au détriment du juge de l'annulation via les nombreuses possibilités de régulariser une autorisation pendant et après l'instance, ou encore l'insertion d'un nouvel article L. 600-7 du Code de l'urbanisme destiné à lutter contre les recours abusifs. Le virage du législateur, ratifiant le nouveau paradigme tendant à privilégier la sécurisation du bénéficiaire des autorisations et des constructions, accompagné fidèlement par de nombreuses décisions prétoriennes, était acté, et n'a fait que s'accélérer ces dernières décennies.

Au point où certains commentateurs se posent la question : Cette tendance interroge plus fondamentalement sur le fait de savoir si l'équilibre entre sécurité juridique des autorisations d'urbanisme et droit au juge n'a pas été rompu ?1 En témoigne le décret du 17 juillet 2018 (n° 2018-617), préfigurant la future Loi Elan, qui a inséré dans le Code de l'urbanisme un nouvel article R. 600-5, dont l'objectif était de fixer un délai de deux mois suite à la production du premier mémoire en défense après lequel les parties ne pouvaient plus invoquer de nouveaux moyens. Cet article n'empêche évidemment pas d'invoquer de nouveaux arguments dans un moyen préexistant.

La création du concept de cristallisation des moyens

La Loi Elan procède au sacrement de ce nouveau paradigme. Elle instaure un nouvel article L. 600-3 dans le Code de l'urbanisme, au titre duquel : « un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d'aménager ou de démolir ne peut être assorti d'une requête en référé suspension que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du Code de justice administrative est présumée satisfaite ». La Loi a surtout, par cet article, créé le concept de « cristallisation des moyens », dont les gênes étaient contenues dans l'article R. 600-5 susmentionné.

Il faut le noter, cet article est accompagné d'un nouvel article L. 600-13 du même Code précisant que les dispositions de l'article L. 600-3 sont également applicables aux recours pour excès de pouvoir formés contre les permis de construire qui tiennent lieu d'autorisation au titre d'une autre législation.

Il résulte ainsi de l'application combinée de ces deux articles qu'une requête en référé suspension (article L. 521-1 du Code de justice administrative), ne peut assortir une requête en annulation pendante contre une autorisation d'urbanisme que dans le délai de deux mois suivant la production du premier mémoire en défense. Faisant échos au « rapport Maugüé », ce nouvel article issu de la Loi ELAN permet au référé suspension « d'être à la fois aisé à exercer mais également enserré dans un délai déterminé ». L'objectif évident était d'éviter qu'une telle requête n'aboutisse à une suspension tardive d'un projet de construction ou d'aménagement.

La doctrine le reconnaît d'ailleurs aisément : « ce dispositif est favorable aux bénéficiaires des autorisations d'urbanisme en termes de sécurité juridique, dès lors qu'il permet de limiter les risques de blocage de travaux, si aucune demande de référé n'est déposée avant la cristallisation des moyens. Il leur permettra également d'avoir une première analyse judiciaire de la légalité de leur autorisation si une telle demande est présentée. Enfin, en favorisant une systématisation des demandes de référé suspension, le législateur permet aux bénéficiaires des autorisations d'urbanisme contestées d'avoir un premier avis sur la légalité de celles-ci et de les conforter sur la viabilité de leurs projets, en cas de rejet du référé, ou, en cas de suspension, de les conduire à solliciter rapidement la délivrance d'un permis de construire modificatif de régularisation dont l'objet sera de purger les vices considérés par le juge des référés comme étant de nature à créer un doute sérieux au sens et pour l'application de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative »2.

Aucun doute qu'en application de ces nouvelles dispositions, tout constructeur désireux de poursuivre sans délai la mise en œuvre de son permis, aura tout intérêt à produire un mémoire en défense le plus rapidement possible et de commencer les travaux quelques jours après la fin du délai de cristallisation des moyens soit deux mois après le premier mémoire en défense.

Si le législateur a souhaité rassurer les requérants désireux d'obtenir une suspension en leur accordant, pendant ce délai de deux mois, « une présomption d'urgence », force est d'admettre que la balance demeure pour le moins déséquilibrée.

L'article L. 521-1 a-t-il été tué par la cristallisation des moyens ?

À cet égard, si l'objectif du législateur était « d'accélérer et d'enserrer » la demande de suspension d'une autorisation d'urbanisme dont la légalité était contestée au fond, il convient de se demander si l'effet réel et insoupçonné de ces dispositions n'a pas conduit en réalité à la mort de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (CJA).

En effet, la loi du 30 juin 2000 (n° 2000-597) ayant instauré l'article L. 521-1 du CJA, ne conditionnait la suspension d'une autorisation d'urbanisme qu'à la reconnaissance d'une urgence à suspendre les travaux et à l'existence « de moyens sérieux propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Or, un requérant sérieux doté d'un argumentaire démontrant sans conteste l'urgence à suspendre et ayant fait d'état de doutes indiscutables quant à la légalité de l'autorisation se verra tout de même opposé une irrecevabilité dès lors que sa demande en référé aura été effectué postérieurement au délai fixé pour la cristallisation des moyens. C'est donc en définitive une troisième condition cumulative qui vient ainsi augmenter l'article sus-rappelé.

Les défenseurs de ce mécanisme pourront certes arguer que ce requérant, s'il avait réellement fait preuve de sérieux, aurait pris le soin d'engager son référé avant la fin du délai de deux mois. Cela est sans compter sur les nombreuses décisions du Conseil d'État qui n'ont pas attendues la loi Elan pour encadrer les possibilités d'effectuer un référé suspension. Ainsi, il faut que les travaux aient commencés ou soient sur le point de commencer selon la décision dite ministre de l'Écologie et du Développement durable du 15 février 2007 (n° 294186). À l'inverse, il ne faut pas que les travaux soient achevés ou sur le point de l'être en vertu de l'arrêt Association Bien vivre au Cœur des Trois Rivières, du 29 mars 2009 (n° 318358).

Il résulte de ce constat tiré de la jurisprudence du Conseil d'État deux choses. Si le législateur a prétendu vouloir enserrer le référé suspension « dans un délai déterminé », le référé suspension était en réalité d'ores et déjà encadré dans un délai fixé par le juge administratif. Dès lors qu'une demande de suspension, pour être recevable, doit à la fois nécessiter un commencement d'exécution des travaux et être réalisé dans le délai de deux mois suivant le premier mémoire en défense, plus aucune demande ne sera jugée recevable si les travaux n'ont pas débuté avant ce délai. En définitive, étant donné que tous les constructeurs attendront la fin du délai de cristallisation pour débuter les travaux, les deux conditions susmentionnées ne se retrouveront presque jamais réunies en même temps, vidant de fait de sa substance l'article L. 521-1 du CJA.

Vers un nouveau paradigme ?

L'impact considérable de ces mesures sur le droit d'accéder au juge et sur le droit au recours effectif (Conseil Constitutionnel, 23 juillet 1999, décision n° 99-416 ; Cour européenne des droits de l'Homme, 21 février 1975, « Golder ») obligera sans aucun doute le Conseil d'État à venir préciser les contours de ce nouveau paradigme.

Une piste peut sembler intéressante. La possibilité de se voir reconnaître une urgence à suspendre en dehors de tout commencement d'exécution des travaux « dès lors qu'il résulte des pièces du dossier et de la maquette produite lors de l'audience que par ses dimensions et sa hauteur, la construction autorisée par le permis est de nature à nuire aux conditions d'habitabilité des propriétés des requérants » comme il a été jugé par le Conseil d'État, le 27 juillet 2001, dans l'arrêt dit « Commune de Meudon », (n° 231991).

Le risque serait toutefois d'ouvrir une boite de pandore que le juge aurait la plus grande peine à refermer. En effet, toute action en annulation serait automatiquement assortie d'une demande de suspension sans attendre le début des travaux, au motif que le projet non encore entrepris impactera nécessairement la propriété du requérant. Or, par principe, un requérant, pour être recevable, devant démontrer son intérêt à agir, et donc démontrer l'impact du projet sur la jouissance du bien dont il dispose, force est d'admettre qu'une écrasante majorité des requérants disposeront d'une présomption de recevabilité en référé suspension qui serait, pour le coup, tout autant déséquilibré que ne l'est la situation actuelle.

Demeure toutefois possible, en l'état actuel du droit, de demander au juge de bénéficier du 2e alinéa de l'article R. 600-5 du Code de l'urbanisme, aux termes duquel « Le président de la formation de jugement peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l'affaire le justifie ».

Consécration du désistement d'office

Une fois passé les barrières de la recevabilité ci-dessus examinées lors d'une demande de suspension d'une autorisation d'urbanisme, la loi Elan a fixé une nouvelle étape avant d'en arriver à l'annulation définitive d'une telle autorisation. En réalité l'article R. 612-5-2 du CJA ne résulte pas directement de la loi mais du décret susmentionné du 17 juillet 2018. La Loi Elan ayant toutefois remis la lumière sur cet article méconnu.

Il en résulte « qu'en cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du même Code au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation dans un délai d'un mois à compter de la notification du rejet. À défaut, le requérant est réputé s'être désisté ». L'idée est simple. Étant donné que le requérant aura vu ses moyens rejetés, il pourrait considérer que sa requête en annulation au fond est également vouée à l'échec, et donc considérer qu'il convient de mettre fin à sa procédure en excès de pouvoir.

La volonté de désengorger les juridictions est ici limpide et ne fait aucun doute. La simple abstention lui permettra donc de se désister d'office, sans avoir à recourir à un mémoire spécifique. Or la difficulté apparaît dès lors que les requérants ne souhaitent pas se désister, conscient que le juge de l'évidence (le juge des référés) ne dispose pas d'une appréciation aussi poussée que ne l'est celle du juge de l'annulation. Pour ces requérants, faute d'avoir explicitement maintenu leur demande d'annulation par des écritures en ce sens envoyées dans le mois qui suit la notification du rejet de la demande de suspension, ils seront considérés comme s'étant automatiquement désisté.

La diligence des requérants, ou de leurs représentants, est donc primordiale. L'inattention n'est plus permise. D'aucuns feront remarquer que l'annulation d'une autorisation d'urbanisme, avec ou sans le truchement d'une suspension, se transforme en véritable parcours du combattant dont seuls les plus valeureux, ou les plus diligents, sortiront victorieux.

1 Colloque « Le droit au juge à l'épreuve de l'évolution du contentieux de l'urbanisme », 2019.

2 David Gillig, « Le contentieux des autorisations d'urbanisme après la Loi ELAN », Construction - Urbanisme n° 1 - Janvier 2019, étude n° 5.




July 13, 2020 at 11:42AM
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