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Saturday, August 29, 2020

Un grand départ "confisqué" au public au profit des VIP : le désarroi des recalés du Tour de France - Marianne

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On dit d'elle que c'est un joyau, l'âme de la ville. La place Masséna. À son évocation, les « vrais Niçois », ou du moins ceux qui se présenteront comme tel, auront toujours l'oeil qui s’émerillonne. Ils sembleront loin, très loin. Absents, distants, mais éclatants. Direction leurs souvenirs de carnaval qui, chaque année, aime se poser entre ces façades rouge feu. Ce samedi 29 août, c'est un autre vaisseau qui occupe l'adresse : le Tour de France. Fête populaire par excellence. Et quel meilleur espace pour accueillir ce rendez-vous universel et centenaire que celui-ci ? C'est vrai. Mais c'est oublier les temps présents. Cette pandémie, ce Covid-19 qui oblige la Grande boucle à fêter ses 107 ans cachée de ses enfants et de ses amoureux plus ou moins secrets, tous déboussolés.

Huis clos

Martin cherche son chemin. Il s'élance. À droite, puis à gauche, s'arrête, lève les bras, souffle. Derrière lui, son gamin le retient par le bout de son t-shirt.« Mais Papa, on va où ? ». C'est con, mais papa n'en sait rien. « Si ce n'était que pour moi, je serais déjà rentré, c'est clair et net », nous confie le quadragénaire, las. Le Tour, son fils, Arman, 7 ans, lui en parle depuis des mois. Fan de Peter Sagan, grand favori du jour, il le tanne sans faiblir depuis autant de temps pour ne pas le rater, « chez eux », à Nice. Et malgré le contexte sanitaire, malgré le récent placement de leur département en« zone rouge », il était hors de question de renoncer. Et maintenant ? « Toute la ville est bouclée, s'agace-t-il. Les coureurs sont parqués, leur présentation n'est réservée qu'à une poignée de privilégiés... Au début, on a tenté d'arriver par l'autre côté, rue Desboutin, mais ils ont installé un immense mur noir autour de la Fontaine du Soleil pour que l'on ne puisse rien voir. Même à 200 mètres d'eux, on risque de les contaminer ? ». Devant eux, un couple en costard et tailleur entre dans le périmètre qui leur est interdit.

Une situation que même les bénévoles déplorent. T-shirt jaune sur le dos, ils ont pour mission de « stationner »autour du site pour répondre aux questions des visiteurs. Patrick et Pierre sont là depuis l'aube, fidèles au poste, à orienter les « perdus » et consoler les « déçus ». « On nous a appris ce matin, à notre arrivée, que le départ ne serait pas en huis clos partiel mais total, rapporte le premier. Vous imaginez donc la surprise et la déception des gens qui nous sollicitent... Il aurait fallu anticiper ». Les quolibets, ce sont eux qui les reçoivent. À quelques mètres, Irène, 85 ans, « bénévole régulière » de tous les événements niçois depuis les Jeux de la Francophonie de 2013 parce que « ça rend service », souffle : « Il faut être invité, c'est comme ça... C'est dommage, c'est un si bel événement ». Derrière elle, la voix du speaker du Tour, enjouée et emmurée. « Quel plaisir de se retrouver ! ».

Patrick et Pierre, bénévoles sur le Tour. © Anthony Cortes

Il reste au moins à ces malheureux la possibilité d'errer dans le « Fan Park », sorte de village publicitaire installé sur la Promenade du Paillon, à quelques centaines de mètres. Enfin, pas tous. La jauge maximale est fixée à 1.500 personnes sur l'ensemble de la journée, nous indique un agent de sécurité, un compteur-enregistreur à la main. Là, pas de coureur. Mais des marques et des institutions venues faire leur promo de façon ludique. Il y a Socca Chips, qui distribue des pétales dorées avec une pince de cuisine, précautions sanitaires obligent, tout en invitant les passants à s'essayer à la pétanque. La Police nationale, dont les porte-clés s'arrachent, certainement grâce à leur stand de tir virtuel. Et Corepile, spécialisé dans le recyclage de piles, qui explose les records d'affluence grâce à un « bénévole star » : Brice, vu dans l'émission de TF1 « Koh-Lanta » la veille. « S'il n'y avait pas de Covid, je vous ferais des câlins », promet-il à une bande de très jeunes fans. Derrière, quelques dizaines de visiteurs, plus opportunistes qu'amoureux de vélos, s'affairent, les bras chargés d'échantillons. Dont Dominic, sans abri roumain, t-shirt à pois posé sur l'épaule: « Le Tour, c'est bien mieux que le Giro mon ami », nous promet-il. Voilà au moins un heureux.

Un village départ de paillettes

Pour en trouver d'autres, il faut se tourner vers le village départ. Le fameux lieu réservé. Il est midi et, à deux heures du grand départ, il y a foule aux abords des contrôles de sécurité. Une foule compacte, malgré le contexte. Eux ont le droit. « On cherche un troisième agent de sécurité pour ouvrir le village », précise un organisateur. Certains soufflent, parfois en levant leur masque. Dans les rangs, un jeune homme distribue une lichette de gel hydroalcoolique à chacun, ce qui rassure les anxieux et agace les pressés. On avance. À l'intérieur, des masques siglés « Tour de France » sont distribués. « En fait, les gens prennent nos masques pour en faire la collection, pas pour les mettre », fait remarquer une représentante de l'assistance médicale, désespérée, à un collègue de l'équipe « prévention sanitaire ».

Ce Tour est décidément collector. Si autrefois la Grande Boucle était une kermesse, cette année, c'est une boîte de nuit. D'un côté les recalés, de l'autre les admis. Robert Tonna, 93 ans, est, pour son plus grand bonheur, dans la danse. Presque un intrus, mais qu'importe. Sa présence, il la doit à son passé qu'il aime raconter malgré sa surdité. Ancien coureur régional de premier plan, « de 1947 à 1952 », répète-t-il pour que ce soit bien noté, il observe avec ses yeux fatigués ce qu'est devenue sa course chérie. En 1981, pour le premier grand départ du Tour dans sa cité, il était là, derrière les barrières. Il y a vu Hinault lever les bras. Cette année, il voit Jean-Michel Blanquer se demander ce qu'il fait là.

Jean-Michel Blanquer ce samedi 29 août à Nice. © Anthony Cortes

Son regard se perd vers une paire de mocassins en daim portée par un homme aux vêtements trop petits pour sa carrure. Il s'agissait de Conor McGregor, champion de MMA, apprendra-t-on bien plus tard. Ce Tour sera-t-il réservé aux seuls VIP ? Sur le boulevard Jean-Jaurès, une foule épaisse a cependant réussi à prendre d'assaut les barrières pour voir les coureurs s'élancer. Il est 14 heures. Beaucoup sont là par hasard, d'autres doivent leur présence à leur acharnement. « Le huis clos total, ce n'était pas tenable », reconnaît un policier sur le parcours. À croire qu'on ne confisque pas un bien commun si facilement.




August 29, 2020 at 11:02PM
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